Le pastoralisme fait partie de l’identité propre aux vallées pyrénéennes.
Il sous-tend un fort sentiment d’appartenance à un territoire qui se transcrit dans une mémoire collective riche (chacun a une histoire familiale plus au moins proche avec le métier de berger). Le rapport des bergers vis-à-vis de la montagne est, à la fois, fait de respect mais aussi d’une certaine méfiance, pour ne pas dire crainte. La montagne peut être dangereuse et les conditions parfois rudes. L’estive est un lieu isolé dans lequel l’homme se retrouve seul avec la nature. Par le passé, l’acte de bâtir dans les estives était dicté par le besoin de s’abriter. L’économie de moyen façonnait des bâtiments modestes et intégrés par nature, dans la mesure où l’on construisait à partir des matériaux du site et avec le site. La disponibilité, la nature et la qualité des matériaux déterminaient les dimensions et les proportions du bâti. L’implantation du bâti s’inscrivait dans la topographie pour des raisons de protection vis-à-vis du milieu. L’acte de bâtir était empirique, collectif, exécuté par des hommes sans connaissance particulière dans les techniques de construction, sans volonté de composition architecturale. Construire des cabanes d’estives aujourd’hui est très éloigné du contexte passé. Tout d’abord la maîtrise d’ouvrage est portée le plus souvent par les communes qui cherchent à soutenir l’économie pastorale par l’aménagement des estives. Le berger n’est plus le bâtisseur direct, il est considéré comme un usager. Sur le plan sociologique et économique la condition du berger est aussi différente. Autrefois, le plus souvent célibataire et berger par “obligation”, il occupe aujourd’hui l’estive en famille et il a fait le choix de développer son activité en produisant une part de son fromage en montagne. Son travail est encadré par des normes sanitaires. Ces évolutions modifient le besoin initial : de l’abri multifonction, on passe à un espace de vie et de production séparé qui impacte plus le milieu (plus de surface au sol, assainissement, espace de traite aménagé…). Sur le plan constructif, le bâtiment est conçu et réalisé dans le cadre réglementaire et normatif classique, par des professionnels (architecte et artisans). L’augmentation des moyens techniques et financiers bouleverse le rapport au site à tout point de vue.
Le rôle et la responsabilité de l’architecte
La beauté et l’intégration des anciennes constructions d’estives sont la conséquence du “bon sens” des autoconstructeurs et de leur manque de moyens. Cette vision est assez éloignée du caractère romantique qui s’attache souvent aux cabanes d’estives, vision qui constitue certainement le premier écueil pour l’architecte (pastiche). Le second écueil serait de considérer que les techniques modernes permettent de prendre totalement le pouvoir sur le site, en concevant des objets transportés et posés dans le paysage. Une voie tentante et justifable sur le plan financier, mais qui s’apparente à une construction hors sol (comme il existe des cultures hors sol) très éloignée de l’attachement des valléens à leur paysage. Seule une démarche de projet architectural permet à l’architecte de jouer son rôle et d’obtenir sa légitimité auprès des bergers.
S’appuyer sur le site et la connaissance du pastoralisme :
Se nourrir du site : du paysage (les éléments naturels : minéral, végétal…), les quatre éléments (Terre, Eau, Vent, Soleil) qui déterminent l’orientation, l’exposition et l’implantation.
Se nourrir de l’usage : les besoins de vie familiale et les besoins liés au travail pastoral (fromagerie, traite, garde et soin du troupeau). La discussion autour de la façon de travailler du berger est essentielle mais difficile car les pratiques sont empiriques. Se documenter sur le pastoralisme pour acquérir une “culture” sur le sujet.
Concevoir le projet : l’enjeu principal pour l’architecte consiste à répondre aux besoins et aux évolutions du pastoralisme tout en conservant les qualités d’intégration respectant le site. Il s’agit d’exprimer un certain “esprit du berger” en recherchant la simplicité, l’utile, l’économie de moyen qui prévalaient par force à l’origine mais qui deviennent les qualités d’un projet intégré à son environnement.
Réaliser : ce parti pris architectural doit être assumé et défendu par l’architecte jusque dans la réalisation en s’entourant d’entreprises qui comprennent les enjeux de l’intégration et capables de mettre en œuvre dans les règles de l’art dans des sites isolés aux fortes contraintes climatiques. Dans le souci du détail se niche souvent pour l’architecte la part d’invention. On retrouve d’ailleurs dans les bâtiments anciens des estives ces petits détails, ces petites particularités qui sont la trace émouvante des bergers bâtisseurs.
Frédéric ABBADIE
architecte d.p.l.g.